Pourquoi des Espagnols au Plateau des Glières ?

Le 20 septembre 1940, après deux jours et deux nuits entassés dans des wagons à bestiaux, arrivent à Annecy plusieurs centaines de Républicains Espagnols procédant des camps d’internement du sud de la France.

Ils sont incorporés dans trois Compagnies de Travailleurs Etrangers (C.T.E.). La 514 est répartie dans le département pour aider aux travaux de l’agriculture. La 515 est destinée à l’assèchement des marais d’Epagny et la 517 pour faire la route du Semnoz et du charbon de bois. Ces compagnies sont encadrées par des officiers de Vichy.

Après l’occupation de la zone sud en novembre 1942, un danger s’abat sur eux. A la demande de l’Allemagne, Vichy réquisitionne ponctuellement dans leurs effectifs pour aller travailler en Allemagne. D’autres sont envoyés en Afrique du Nord pour la construction de la Transsaharienne.

Les Espagnols, « Résistants par atavisme », commencent à organiser une certaine Résistance, déjà à l’intérieur des compagnies, pour faire face à ce nouveau danger.

Il s’agit de faire des doubles des clés du bureau du capitaine de la compagnie pour pouvoir y entrer pendant la nuit, consulter les ordres et documents venant de Vichy et utiliser les imprimés et tampons du bureau pour faire de faux papiers (sauf conduit, autorisation de circuler en dehors du camp, carte de Travailleur Etranger, etc.). Un de ces Espagnols imitait la signature du capitaine de façon parfaite, indispensable pour faire les faux papiers.

Si le nom d’un camarade apparaissait dans un courrier venant de Vichy pour être envoyé en Allemagne, celui-ci était tout de suite aidé pour évacuer le camp et rejoindre le Maquis.

Très vite Miguel Vera se trouve au centre d’un réseau très bien organisé, avec la complicité de certains livreurs et des points de chute chez des habitants ou paysans. En utilisant les faux papiers, il pouvait aider à déserter le camp, non seulement ceux qui étaient en danger, mais aussi tous ceux qui désiraient reprendre le combat contre le fascisme en prenant le Maquis.

Dans un premier temps, les déserteurs vont s’incorporer à des Maquis déjà existants : à « Les Villards-sur-Thônes » en décembre 1942, aux « Dents de Lanfon », le 15 mars 1943. Puis des Maquis uniquement d’Espagnols sont créés :

  • 1er avril 1943 : Maquis du « Mont Veyrier ».

  • 3 mai 1943 : Maquis du « Col de la Colombière ».

  • 7 juin 1943 : Maquis de la « Combe d’Ire » .

  • Fin juin 1943 : Maquis du « Semnoz ». Il sera déplacé à Usillon, commune de Thorens, en novembre 1943 .

  • 20 décembre 1943 : Maquis du « Bouchet de Serraval ».

Tous ces Maquis vont avoir un comportement exemplaire : discipline, efficacité, loyauté. Exécution des missions toujours sur ordres. Jamais une bavure dans leurs actes de Maquisards qui ait donné lieu à des représailles contre la population.

Les Espagnols font l’admiration de l’Etat-major de la Résistance française.

Aussi, lorsque le 30 janvier 1944, Tom Morel est nommé chef de tous les Maquis de la Haute-Savoie avec mission de monter au Plateau des Glières pour réceptionner les armes promises par les Alliés à la pleine lune de février, il fait immédiatement appel à eux.

Une fois sur le Plateau, le 1er février 1944, Tom Morel demande à Miguel Vera de les organiser militairement. Ce dernier crée la Section EBRO qui est divisée en deux : « EBRO » et « Renfort EBRO ». Il nomme les responsables : le Capitaine, les Lieutenants, les Chefs de Sixaines.

Comme il avait été convenu sur le Plateau, il n’y aura qu’un seul commandement et il sera Français. Immédiatement, Miguel Vera met les deux Sections aux ordres de Tom Morel. Celui-ci les place sur le site le plus difficile à défendre, c’est-à-dire la montée du Petit Bornand, seul chemin d’accès au Plateau à l’époque.

Tom Morel sera infiniment reconnaissant envers la confiance que lui témoigne Miguel Vera. Ce dernier garde l’autorité morale des Résistants Espagnols. Tom l’informera et prendra son avis dans toutes les opérations où les Espagnols seront impliqués.

Tom Morel leur porte une immense estime. Ces hommes aguerris de la guerre d’Espagne, sachant manipuler les armes, avec l’expérience de la guerre, sont un grand réconfort pour les jeunes réfractaires au STO, dont 80% d’entre eux n’ont même pas fait le service militaire.

Aux Glières, les Républicains Espagnols vont donner toute la mesure de leur qualité de combattants de la Liberté. Nous citons un passage du discours de Julien Helfgott, le 16 janvier 2000 :

« Ils formèrent la section EBRO qui fut l’une des meilleures grâce à sa discipline. De longues années de souffrance en exil leur avaient donné une extrême endurance. Ils avaient l’art de vivre avec peu de choses, de s’installer avec presque rien. Leur conduite exemplaire ne fut qu’un des nombreux témoignages de leur loyalisme ».